Résumer un siècle de mode, c’est un peu comme vouloir faire tenir une robe à volants dans une valise cabine : risqué, mais nécessaire. C’est une histoire où chaque décennie réinvente l’élégance, bouscule les codes, et s’impose comme un témoin des grandes mutations sociales. Entre l’audace des Années folles, l’ingéniosité des temps de guerre et les révolutions stylistiques des sixties, la mode devient bien plus qu’une question de vêtements : elle est une langue vivante parlant autant du passé que de l’avenir.
Défier les normes
Plus qu'une apparence
Mode, du latin modus, signifie « mesure ». Une simple étymologie qui reflète pourtant toute la richesse d’un concept. Se vêtir n’est pas un acte anodin : c’est se conformer ou, au contraire, se démarquer. Au XXe siècle, la mode devient une quête de nouveauté, une recherche d’originalité, voire une manière de défier les normes établies. Elle n’est pas seulement apparence : elle raconte une époque, traduit les courants sociaux et politiques, et préfigure les bouleversements à venir.
Un contexte en pleine mutation
1870 : Napoléon III s’incline face à la Prusse, et avec lui le Second Empire. La Troisième République s’installe sur un pays en plein bouleversement. Dix-neuf ans plus tard, l’Exposition universelle de 1889 érige la Tour Eiffel, emblème d’un futur fait d’acier et d’électricité. Ce vent de modernité souffle aussi dans les salons feutrés de la bourgeoisie, qui s’impose comme la force dominante d’une France industrielle et républicaine.
Crédit photo : Gwen Storie Photographie - Robe : Atelier Alexandra Fabbri
Avec ces changements, les garde-robes évoluent. Les lourds jupons cèdent du terrain à des vêtements plus techniques, mais toujours élégants. À la fin du XIXe siècle, la mode commence à se réinventer, portée par le souffle de l’innovation sociale et technologique.
L'émergence des grandes maisons
Vers la haute couture
Avant le milieu du XIXe siècle, l’habit était affaire d’artisans. Les tailleurs se consacraient à la confection des hommes, tandis que les couturières habillaient les femmes. Ce monde cloisonné se transforme avec l’apparition d’un personnage clé : le créateur.
Charles Frederick Worth révolutionne Paris. Ce visionnaire britannique impose une idée audacieuse : concevoir des collections entières. Désormais les clientes ne dictent plus leur désir ; elles choisissent parmi des modèles soigneusement orchestrés. La mode passe de l’artisanat à l’art, le couturier devient artiste. C’est le début de la haute couture.
Les Années folles
À la charnière des XIXe et XXe siècles, la mode féminine entame une lente révolution. Les lourdes contraintes vestimentaires s’assouplissent, un mouvement qui s’accélère avec la Première Guerre mondiale. Alors que les hommes partent au front, les femmes investissent les usines, les bureaux, et adoptent des tenues qui leur permettent de bouger, de travailler, de respirer.
Le corset disparaît, remplacé par des coupes plus fluides. Les jupes se raccourcissent, les tailles s’estompent, et la silhouette s’allège. Cette transformation n’est pas qu’esthétique : elle incarne une émancipation sociale et politique. En s’affranchissant des carcans vestimentaires, les femmes revendiquent aussi leur place dans la société.
Quand la crise habille la sobriété
L’élégance sous pression
La crise de 1929 claque comme un coup de tonnerre et secoue bien plus que les marchés financiers. Elle redistribue les cartes, jusque dans les garde-robes. Exit l’exubérance et les frasques des Années folles. Le style devient austère, réfléchi, presque sévère. Mais si la mode plie sous les restrictions, elle ne rompt pas.
Pendant l’Occupation, Paris, coupée du reste du monde, doit redoubler d’ingéniosité. L’élégance se fait bricolée. Les matières précieuses disparaissent, remplacées par le raphia, le liège, le tissu de récupération. Les semelles des chaussures, privées de cuir, se façonnent en bois ou en liège. Les robes, raccourcies par nécessité, adoptent des coupes droites et sobres, sans jamais sacrifier une certaine allure.
Un symbole de résilience
Sous cette sobriété imposée, un message : résister. À la pénurie, à la grisaille, à l’austérité. Bien s’habiller devient un acte presque subversif, une façon de ne pas plier sous le poids des circonstances.
À Paris, les femmes osent le raffinement, même dans la contrainte. Elles recyclent, réinventent, et créent des silhouettes qui, sans éclat ostentatoire, dégagent une grâce intemporelle. Une robe raccourcie, un col ajusté, un foulard noué : autant de gestes qui affirment une chose essentielle, même en pleine tourmente, la parisienne reste libre.
L’essor du New Look
Renaissance d’une industrie en sommeil
En 1945, l’Europe se relève à peine des ruines de la Seconde Guerre mondiale. Les privations s’effacent doucement, y compris celles qui pesaient sur les garde-robes. Exit les coupes pratiques et austères dictées par le rationnement : place aux rêves. Avec la fin des restrictions sur les tissus, les grands noms de la couture parisienne retrouvent leurs aiguilles, prêts à redonner à la France son statut de capitale mondiale de la mode.
Crédit photo : Xen.Chik Photo - Robe : Atelier Alexandra Fabbri
C’est dans cet élan de renouveau qu’éclot une idée brillante et audacieuse : le Théâtre de la Mode. Imaginée par la Chambre syndicale de la couture parisienne, cette exposition itinérante fait voyager le savoir-faire français à travers le monde. Sur des poupées miniatures, des créateurs tels que Carven, Marcel Rochas, Balmain ou Schiaparelli présentent des pièces d’exception, comme autant de témoignages de l’élégance à la française. Entre 1945 et 1946, l’initiative redonne des couleurs à une industrie mise à genoux, tout en rappelant au monde que Paris reste la capitale incontestée de la mode.
Dior et la féminité
Au cœur de cette renaissance, un homme va marquer l’histoire : Christian Dior. En 1947, le couturier dévoile sa collection « Corolle », une révolution stylistique saluée par Carmel Snow, rédactrice en chef du Harper’s Bazaar, qui la baptise instantanément le New Look.
La silhouette Dior tranche avec les lignes rigides et minimalistes des années de guerre. Ici, on célèbre une féminité ostentatoire, presque sculpturale. Des jupes amples qui balaient les mollets, des tailles de guêpe marquées à l’extrême, des hanches subtilement rehaussées par des rembourrages, des épaules délicatement tombantes… Tout respire le luxe, l’excès, et une forme de nostalgie des grands bals d’avant-guerre.
Une féminité rêvée, mais contraignante
Si le New Look fait rêver, il divise. Pour les unes, c’est une ode à la féminité retrouvée, une revanche sur les années sombres. Pour d’autres, cette silhouette sablier, aussi glamour soit-elle, renvoie à une contrainte physique presque désuète. Les corsets modernes et les coupes structurées imposent un retour à une image de la femme idéalisée, mais loin des libertés vestimentaires conquises avant la guerre.
Aux antipodes des tenues fonctionnelles des années 40, le New Look marque une rupture totale. Il influence les actrices hollywoodiennes, s’affiche dans les magazines, et devient le symbole d’une France qui reprend le fil de son histoire, entre faste et nostalgie.
Avec le New Look, Dior ne se contente pas de créer des vêtements : il invente un rêve, celui d’une féminité luxueuse et magnifiée. Un rêve qui, encore aujourd’hui, continue de fasciner.
La seconde partie est disponible ici.